Réécriture du texte : « Identification et expression des émotions dans la problématique autistique et psychotique »

Réécriture du texte : « Identification et expression des émotions dans la problématique autistique et psychotique »
Charlie Kalis, Psychologue clinicienne


L’écrit développé ici est le résumé d’une intervention lors du cycle de conférence « Regard croisés » organisé par le Centre Hospitalier Sainte Marie de Nice. Il s’appuie principalement sur des expériences professionnelles au sein d’une Maison d’Accueil Spécialisée.

Bien que tous différents dans leur construction personnelle, les résidents accueillis à la MAS ont pour mêmes difficultés l’identification et l’expression de leurs émotions. Le premier aspect peut être expliqué par le rapport que la personne entretient avec son milieu, le processus d’identification des émotions propres à la personne est barré par une évidente confusion entre soi et l’environnement. En effet, le rapport au monde de la personne se caractérise par une relative indifférenciation entre le Moi et le Milieu, nous pourrions dire que la personne se situe dans un tout plus ou moins indifférencié.

Par conséquent, ne pouvant identifier ses émotions, la personne ne peut les traiter dans le but de les réduire lorsqu’elles sont trop éprouvantes et indésirables. Précisons aussi que le langage, souvent perturbé, stéréotypé ou absent ne permet pas à la personne de communiquer aisément ses ressentis à l’autre. Dans cette logique, la communication non verbale prédomine. Cette communication peut s’établir de manière plus ou moins adaptée dans le milieu de la personne, c'est-à-dire dans à sa vie en collectivité (exemple du geste hétéroagressif comme une manière de signifier directement à l’autre son sentiment ou bien question de la discordance entre l’émotion vécue et l’expression du visage).

Dans la pathologie autistique ou psychotique déficitaire, nous avançons l’idée selon laquelle le traitement des émotions se réalise par la mise en place d’activité relativement adaptée selon le parcours, les ressources de la personne et les circonstances propres au milieu. C’est dans cette interaction permanente entre ces deux entités qu’il faut travailler pour véritablement accompagner la personne (le sujet en situation globale, un sujet en action dans un milieu particulier produisant des feed-back).

Par son activité, la personne vise une mise en sécurité et le maintient d’un certain équilibre. Cette notion d’équilibre subjectif parait essentielle dans ce travail auprès d’adulte en situation d’handicap mental comme dans l’ensemble de la démarche clinique d’ailleurs. Un des objectifs premier de l’équipe pluridisciplinaire de l’établissement doit certainement être de viser le maintien de l’équilibre entre la trajectoire de la personne et les circonstances relatives au milieu afin d’éviter toute rupture pouvant engendrer une régression comportementale, affective, relationnelle et cognitive. Notons que dans le champ de l’autisme et de la psychose déficitaire, cette régression a bien souvent un caractère défensif. Par le rapport entretenu avec le milieu et faute de moyens psychique, et parfois même de support pour l’expression émotionnelle, certaines personnes peuvent se situer dans le passage à l’acte (autoagressivité –qui comprend la mise en danger ultime- hétéroagressivité).

Dans ce cas, l’absence de liaison entre l’émotion et l’activité par une élaboration d’ordre symbolique amène à une confusion voire à une indivision entre l’émotion ressentie et l’activité menée. Il est alors bien délicat de discerner si l’activité est engendrée ou si l’activité permet un certain traitement émotionnel. Dans d’autres dynamiques psychologiques la question peut également se poser. Dans l’autisme et la psychose déficitaire cette problématique de l’intrication entre émotion et activité est comparable à un circuit fermé, elle complexifie notre compréhension de la personne et rend son accompagnement délicat.

En ayant connaissance de ces différents aspects, questionnons-nous alors sur la manière dont un professionnel peut intervenir et accompagner une personne ancrée dans la problématique autistique ou psychotique déficitaire. Comment en tant que professionnel, plus précisément en tant que Psychologue Clinicien qui habituellement s’appuie sur la force de la symbolisation des affects pouvons-nous intervenir auprès des personnes accueillies ?

Etant donné la confusion du rapport que la personne entretient avec son milieu, la priorité (qui est celle de tous Psychologues) semble être la mise en sécurité de la personne. Bien que certains résidents ne se sentent pas particulièrement en situation de danger dans la relation à l’autre, la majorité des résidents de la MAS peuvent percevoir cette dernière comme une effraction dans un environnement qu’ils veulent restreint. En effet, la démarche de l’autre peut rapidement être interprétée comme dangereuse. C’est alors un travail progressif et interactif entre l’accompagnant et le résident qui le conduira à percevoir l’accompagnant comme un autre « non dangereux » pour lui-même. L’aménagement de l’environnement parait être un atout majeur à cette démarche de sécurisation.

Ne pouvant alors nous reposer sur le pouvoir des mots pour amener la personne à mieux discerner ce qu’elle est et ce qu’elle fait, dans travail une optique de travail d’identification et d’expression émotionnelle, il s’agirait de se pencher sur le lien étroit entre les émotions et les activités de la personne. Cela revient à repérer ce que la personne met en place par elle-même pour gérer ses émotions et de trouver le mode de relation que la personne peut adopter. Cela implique le temps, la patience pour envisager la connaissance progressive de la personne mais aussi la mise en confiance, l’acceptation ou la compréhension de son fonctionnement et de ses émotions aussi brutes soient-elles.

Michel Cariou par son développement sur l’activité et ses différentes fonctions propose une réflexion sur ce lien entre l’émotion et l’activité, l’incidence que l’une à sur l’autre et leur interaction. Nous pouvons illustrer l’incidence émotionnelle sur notre propre activité au quotidien comme le bégayement qui peut avoir lieu sous l’emprise d’une forte émotion. Et, la mise en place d’activité permettant une certaine gestion émotionnelle, l’exemple typique étant l’activité de rangement ou de nettoyage permettant l’apaisement émotionnel chez certaines personnes.

Dans le cas de l’autisme et même de la psychose déficitaire, les obsessions ou les stéréotypies reflètent ce fonctionnement. Elles peuvent être à la fois la conséquence d’une émotion mais également un moyen de la traiter, de la gérer.

Il s’agit alors de trouver la fonction que l’activité a pour la personne. Prenons l’exemple de « Dominique » qui a une activité potomane, nous pouvons faire l’hypothèse que ce comportement a été mis en place en réaction à un sentiment de vide intérieur. Le comportement peut alors avoir fonction de remplissage et pourrait permettre un certain maintien du sentiment d’intégrité corporelle. Seulement, nous connaissons bien les conséquences que ce type d’activité peut entrainer tant sur le plan psychique que somatique. L’hydratation massive du corps produit l’hyponatrémie (dangereuse perte de sodium) comme une dilution des traitements psychotropes visant l’équilibre psychique de la personne. L’activité potomane signifie également une hydratation massive du cerveau ce qui engendre une agitation psychique (accentuation de la dissociation psychique). Cette activité parce qu’elle est mise en place a une fonction pour la personne, nous pouvons alors dire qu’elle est adaptative tout autant qu’elle se révèle nuisible à la personne lorsqu’elle devient compulsive.

Au lieu de penser à une radicale suppression de l’activité (du symptôme) identifiée comme néfaste pour la personne, peut être s’agirait-il d’envisager sa régulation et sa compensation par le développement d’une activité de relation où, par le contact avec l’autre, la personne pourrait alors mieux percevoir ses limites propres (affectives, psychiques, corporelles…)
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Pour filer notre raisonnement, prenons le cas de « Richard » comme exemple. Il met en place une activité de déambulation soutenue, et présente, lui aussi, une tendance à la potomanie et à la boulimie. Richard interrompt son activité de marche pour manger ou pour questionner les personnels et les autres résidents (par exemple : « Quand tu dis les autres ont changés, que c’est fini nikila et que Diego a emporté le match, c’est dans ma tête ? »). Richard se tourne vers l’autre comme pour cerner les limites entre la réalité et ses propres hallucinations. Cette activité de marche constitue en quelque sorte une traduction de ses émotions, son activité de marche devient un aperçu de son état psychique et émotionnel. Nous pouvons penser que l’activité de marche soit une sorte de catharsis, d’extériorisation mais aussi que cette activité, cette maitrise corporelle en quelque sorte conduirait à une gestion des émotions.

Lorsque l’on interagit avec Richard, l’on peut rapidement cerner son intérêt pour le foot mais il faut très certainement du temps pour comprendre le réel pouvoir que ce sport peut avoir sur lui.

Cet intérêt ne se situe pas dans l’activité sportive et physique car Richard n’y joue pas mais peut être dans son souci de continuité et d’immuabilité : il existe et existera certainement toujours des joueurs amateurs ou professionnels, des équipes, les matchs, des évènements footballistiques et des résultats à commenter. Bien évidemment, l’encrage temporel, l’inscription dans l’information réelle et le potentiel interactionnel et relationnel que cette passion ne doivent pas être négligés pour comprendre l’intérêt de Richard pour ce sport. Concrètement, comment accompagner Richard dans sa problématique lorsque nous avons enfin perçu le pouvoir canalisant du foot sur lui ? Nous avons pu observer que la suivi écrit des résultats par l’élaboration d’un classeur a renforcé son encrage dans le temps et a permis un support d’échange avec les personnels sur des éléments réels relégués par les médias. A la simple évocation de cet objectif de travail en séance de suivi psychothérapeutique (le classeur), Richard cesse ses stéréotypies, met en suspend le tressautement d’une de ses jambes au sol et mobilise toutes ses capacités attentionnelles.

Au début des rencontres dans le cadre du suivi psychothérapeutiques les hallucinations auditives permanentes de Richard rendaient difficiles toute attention ciblée. Il fallait donc instituer un cadre fait de lieux, repères voire de rituels rassurants. Sa chambre pouvait paraitre être un lieu adapté, seulement il se trouve que nous nous sommes aperçu que la chambre de Richard était pour lui un lieu de sommeil. Nous nous sommes ensuite rencontrés dans mon bureau : nouvel échec. Il fallait en fait faire reposer notre relation sur ce que lui-même avait mis en place. Les entretiens individuels se sont alors déroulés par la suite autour de l’activité de marche et selon un rituel précis en étape : déplacements dans les jardins de la structure afin d’éviter toute stimulation excessive de l’environnement (présence des personnels, des autres résidents…) puis temps d’échange plus approfondie dans le bureau. C’est à partir de ce mode de relation que l’interaction entre Richard et moi est devenue possible. Ces aspects ne sont évidemment pas les seules manières de rentrer en relation avec lui mais elles sont celles que j’ai pu découvrir jusqu’à présent.

L’approche relationnelle envers Richard peut amener à penser qu’il s’agit tout naturellement de se reposer sur ce que la personne a mis en place pour (mieux) être. Notre intervention de professionnel pourrait alors viser la régulation et non la suppression de ce comportement. La régulation de l’activité viserait la réduction de la compulsion et donc sa dangerosité. En supprimant un comportement et donc une activité nous enlevons à la personne un outil de gestion du rapport moi/milieu. Dans une démarche de suppression du « trouble du comportement » nous pourrions en quelque sorte priver la personne d’un étayage.

Ce travail d’analyse bénéfice/risque parait être un travail d’équipe afin de cerner la problématique de la personne dans sa globalité et dans l’intérêt de la personne accueillie et concernée. Ce travail repose également sans doute sur l’évaluation des potentiels de la personne.

Il parait également indispensable de préciser, comme Lydia Chabrier l’a avancé dans son ouvrage « Psychologie clinique » que notre simple présence d’accompagnant ancre la personne dans le réel. Ce réel qui bien souvent, parce qu’insécurisant dans le sens où les variations de l’environnement sont indifférenciées des sensations internes à la personne, est fuit par la personne.